Beaucoup de petits canadiens ont appris la langue seconde à travers un manuel intitulé Conversation anglaise (ou française) à l'aide de l'image, au cours de leurs études primaires. Ce volume contenait vingt-quatre leçons, toutes illustrées par un tableau. Tableaux qui nous font aujourd'hui rêver à notre enfance idéalisée.
Ces manuels, en circulation au Québec de la fin des années 40 jusqu'au milieu des années 60 du XXe siècle, sont passés dans la mémoire collective sous le sobriquet de John and Mary going to school. Leurs images respiraient le bonheur et la sérénité des Fifties et nous apparaissent comme un retour nostalgique à un monde sans préoccupation.
Vous reverrez donc ces tableaux, chacun accompagné d'un texte qui n'a plus rien à voir avec l'apprentissage de la langue seconde. Mais, à bien y penser, John & Mary peuvent encore nous apprendre certaines choses qui étaient contenues dans ces tableaux, et pourquoi pas un destin antithétique?

vendredi 24 juin 2011

The Martin Family at church


THE MARTIN FAMILY AT CHURCH

Après quatre tableaux, John & Mary ont enfin un nom de famille: Martin. Évidemment, il ne s’agit pas des Martin d’Ontario dont le peu d’imagination faisait se succéder les Paul au Paul. John Martin et Mary Martin (nom aussi courant en français qu’en anglais) sont l’exemple des enfants appartenant à la famille canadienne idéale et dont les racines ethno-linguistiques seraient effacées. À la fois anglaise et française, cette famille réalise, avant même la commission Laurendau-Dunton (1963), le projet du bilinguisme et du biculturalisme canadien. Car tous les anglophones ne sont pas anglicans ou réformés, et ils en demeurent parmi eux des catholiques. Toutefois, si la nef semble peu peuplée, le chœur (lieu où se célèbre le rite) correspond toujours aux dispositions prescrites par le rite tridentin, la messe de saint Pie X: le prêtre célèbre la messe en latin, dos aux fidèles et la communion se donne alors que le fidèle est à genoux à la sainte table. L'aggiornemento de Vatican II allait changer tout cela.

Étrange nef d’église que celle où assiste à la célébration la famille Martin. L’église est déjà pratiquement déserte. Rien à voir avec la nef bondée de cette autre reproduction tirée du manuel d’Histoire du Canada de 1ère année de Guy Laviolette. Plus de quinze ans avant la décléricalisation qui devait suivre le concile Vatican II, l’église où se rend les Martin est déjà en voie de se clairsemer si on se fie à l’occupation des bancs. Il y a pourtant un célébrant à l’autel et un vicaire qui distribue la communion. The province ruled by priests nous donne ici la proportion de deux prêtres pour sept fidèles (moins les enfants de chœur!). Pourtant, les bancs d’église sont bien ceux, en bois, des églises de mon enfance. Les petits crochets pour y suspendre les chapeaux n’y manquent même pas. Le missel déposé sur un prie-dieu est la réplique des vieux missels d’avant Vatican II, page latine et page française (ou anglaise) l’une face à l’autre. Chaque étape de la célébration y est représentée, avec illustrations et icônes qui rythment mouvements et récits. La chasuble du célébrant est rouge, symbole de sang et de feu dans la liturgie catholique, elle signifie que la famille vient d’assister à une célébration du Saint-Esprit et des Martyrs. L’autel est décoré d’une reproduction de la Cène de Léonard de Vinci.

Après nous être arrêtés aux corps de John et de Mary, à leur rituel matinal et à leurs vêtements, nous pénétrons dans leur milieu. Nous retrouvons les deux enfants au sein de leur famille. Famille bourgeoise qui suit déjà les préceptes de la modernité en limitant le nombre de leur marmaille à deux enfants. Portant les vêtements propres aux Fifties, ils sont assidus au rite, respectueux, pieux. La démarche de John qui retourne à son banc, avec le corps du Christ qui baigne dans sa salive et fond sur la langue, est celle d’une image d’un Dominique Savio nouveau genre. Je nomme Dominique Savio (1842-1857) parce qu’en tant que disciple de Dom Bosco, il nous était offert, à nous les garçons, en tant que modèle de piété catholique. Venu d’une famille pauvre de l’arrière-pays de Turin, Dominique était au départ fervent catholique lorsque Dom Bosco, voyant sa grande aptitude à l’instruction, le ramena avec lui. Détesté par les autres enfants - ce n’est pas étonnant au siècle de l’anticléricalisme et de l’irréligion -, ils menacèrent même de le mettre à mort lorsque par un mouvement spontané, il brandit une croix et les convertit instantanément. Dominique Savio devint ainsi chef de gang, la Compagnie de l’Immaculée Conception, dont le but n’était rien de moins que de ramener l’Angleterre dans le giron du catholicisme! Heureusement, la tuberculose vint à bout de l’enfant qui mourut, comme il se devait, dans les râles de l’agonie. L’hagiographie nous rapporte que «juste avant de s'éteindre, il aurait dit à ses parents, en extase: «Oh ! Comme c'est beau ce que je vois!» Dom Bosco écrivit alors une biographie exemplaire de Dominique Savio, rappelant comment son grand souhait était de devenir saint. Souhait que Pie XII réalisa d’abord en le béatifiant en 1950 et en le canonisant quatre ans plus tard. Voilà pourquoi il était encore si populaire de mon temps.

Les fillettes n’étaient pas laissées en reste. À elles, on leur offrait l’idéal de Maria Goretti (1890-1902). Plus que pour Dominique, la vie de Maria est un condensé de sainteté spirituelle et de conduite morale. Le tableau 4, Mary’s clothes, nous montrait bien tous les dangers qui menaçaient la petite fille. Cette petite Italienne, elle aussi née de parents pauvres dans l’arrière-pays, se voyait, dès l'âge de onze ans, poursuivie par les assiduités d’un jeune homme, Alessandro Serenelli. Il est vrai que Maria paraissait plus vieille que son âge et qu’on la surnommait la «petite femme»! Alessandro, 20 ans, se montra plus qu’insistant et l’hagiographie nous apprend que Maria, pour fuir la tentation, se réfugia dans la prière. Il est probable que la statue de l’Immaculée Conception, dans la chambre de Mary, lui soufflait à l’oreille le même conseil contre le dialogue obscène de la paterre et de la chatte Pussy! Quoi qu'il en soit, le martyre attendait la jeune dévote. Le 5 juillet 1902, «vers quinze heures», alors qu’elle se trouvait seule avec sa petite sœur, Teresa (à ne pas confondre avec Mère Teresa), le vil Alessandro se présenta et l’amèna de force dans la grande cuisine. Maria se débatît et trouva un argument qui ne fut pas suffisamment convainquant pour calmer les ardeurs de l’agresseur: «Alessandro, Dieu ne veut pas ces choses là! Si tu fais cela tu iras en enfer!» Vexé et fou de rage, l’hagiographie nous apprend alors qu’il «saisit un poinçon de vingt-sept centimètres de long» et la frappa à «quatorze reprises». Transportée à l’hôpital, elle mourut le lendemain après, bien entendu, avoir reçu la communion et donnant son pardon à l’agresseur à la demande du prêtre: «Oui, pour l'amour de Jésus, je pardonne. Je veux qu'il vienne lui aussi avec moi au Paradis. Que Dieu lui pardonne, car moi, je lui ai déjà pardonné». On ne peut être plus altruiste à l’article de la mort! Condamné à une peine de trente ans de prison, le vil meurtrier rêva une nuit de 1910 que Maria lui offrait des lys qui se transformaient en lumières scintillantes. Comme Claudel, il se voyait ainsi frappé par la conversion. Libéré de prison en 1929, après 27 ans de détention, il entra en tant que laïc au Couvent des Capucins d’Ascoli Piceno et mourut au Couvent de Macerata en 1970, après avoir rédigé un testament jugé édifiant. Encore là, nous devons à Pie XII la béatification de Maria en 1947 et sa canonisation en 1950. Assunta, sa mère qui était toujours vivante, fut la première femme à assister à la canonisation de son enfant. Pour le centième anniversaire du drame, le divin Jean-Paul II, dans un Message spécial à l’Évêque d’Albano, souligna «l’actualité de cette Martyre de la pureté».

Voilà donc John & Mary dotés de modèles de conduite et de sainteté. John, à l’exemple de Dominique Savio, communie pieusement, recueillie en lui-même, rien n’indique qu’il ne planifie, toutefois, une croisade pour recatholiciser l’Angleterre! Mary, que l’on voit de dos, habillée elle aussi en rouge, comme la chasuble du curé, est encadrée par son père et sa mère, comme deux anges gardiens chargés de veiller sur sa pureté. Comme c’est la célébration de l’Esprit-Saint et des Martyrs, on comprend que cette fête touche autant Maria Goretti que Mary Martin. Rien ne semble être laissé au hasard dans ce tableau d’éducation morale plus que religieuse.

Nous avons dit que le tableau 5 voyait l’introduction de la famille dans la vie de John & Mary (et des élèves). C’est aussi l’introduction de la famille dans la société. Outre Dieu qui veille du Saint-Sacrement, nous apprenons à connaître le célébrant, le père Smith et le père MacManus qui distribue la communion. Certes, une fois la page tournée, nous ne les reverrons plus, mais ils seront toujours présents dans la vie de la petite Peyton Place où se déroule la vie des Martin. Ils en sont les gardiens de la bonne conscience morale. Ils ont éduqué monsieur et madame Martin lorsqu’ils avaient l’âge de John & Mary (les cheveux blancs du père MacMagnus donnant la communion à monsieur Martin suppose qu’il le connaît depuis longtemps). Eux aussi seront confessés par les deux curés qui connaîtront leurs moindres secrets, seront les seuls à véritablement visiter leurs «placards», à fouiller dans la malle de Mary et jusque dans sa sacoche. En ce sens, la société joue deux rôles vis-à-vis des fidèles. Elle est à la fois source de tentations et gardienne des interdits.

Là aussi les concepteurs auraient pu faire défiler un long cortège d’articles et de signes de piété religieuse: autel, crucifix, statue, cierge, calice, hostie, ciboire, tabernacle (on croirait une litanie de sacres québécois!), missel, enfants de chœur, sainte table, chaire, bancs, sacristie, sans oublier la lampe du sanctuaire et le Saint-Sacrement. Mais les dessinateurs ont préféré insérer les objets directement dans la scène, de sorte que le tableau est poétiquement plus vivant et sans pour autant perdre de sa subtilité symbolique ni surtout sa grande édification moralisatrice.

Et c’est peut-être cet aspect qui est le plus intéressant à comprendre du vécu religieux d’avant Vatican II, dans le monde de la petite-bourgeoisie de Peyton Place. Si nous passons par-dessus la morale de la chasteté dans laquelle on ne croit plus trop trop, c’est combien la spiritualité est moins une affaire d’intériorité que de conditionnement social. Certes, John est fort pieux, mais il ressemble davantage à la pose que prend Mary dans le tableau 2, presque figé sur place même si on nous le présente se dirigeant vers le banc familial. Cette intériorité spirituelle est belle, sans doute, mais elle n’est pas ce que le tableau vise à nous enseigner d’abord. Elle passe tout simplement au second rang, avec les images pieuses de Dominique Savio et de Maria Goretti. Tout cela n’est que jeu d’enfants auxquels s’est toujours prêté l’appareil clérical.

Ce qui est plus important encore, c’est le cadre général de la vie en société. Le père Smith et l’enfant de chœur sont situés sur les plus hautes marches menant à l’autel. Ils sont plus près de Dieu en tant que figures d’autorité. Ce rapport privilégié du surnaturel et du clergé est, bien entendu, séparé par la sainte table, dans une église où le transept sert, comme dans la salle à l’italienne, au théâtre, de frontière infranchissable entre le sacré et le profane. Le père MacMagnus, qui n’a revêtu que l’étole sur l’aube est déjà un peu plus éloigné du tabernacle que le père Smith. Entre les deux curés déjà s’établit une distance liée à la hiérarchie (MacMagnus est dit vicaire et Smith prêtre de la paroisse).

Même ordre hiérarchique dans la société profane. Dans le premier banc, nous retrouvons un couple de personnes âgées et leur fils adulte et immédiatement derrière eux, la famille Martin, père et mère avec fils et fille. L’autorité est commandée par l’âge. Plus nous nous rapprochons de Dieu (et l’âge nous en rapproche dans la mesure où elle diminue la distance qui nous sépare de notre mort), plus nous serions élevés dans l’ordre hiérarchique. Cette vision de la «politesse» et de la «bienséance» enseignée aux enfants est reprise ici intégralement. Le monde des Fifties, qui se voulait le temps de la jeunesse, ne lui reconnaissait aucun privilège face à la proximité de Dieu et du chrétien, sinon que par la mort. Si, comme le disait Heidegger, l’homme est un être-pour-la-mort, rien de tel que ce tableau pour l’illustrer. Si Dominique Savio et Maria Goretti sont offerts comme modèles aux enfants, jusqu’à la canonisation, ordre le plus élevé de la hiérarchie céleste (pour les humains), c’est que l’un est mort de tuberculose et l’autre martyre de sa virginité. C’est la mort autant que la piété, sinon même plus, qui crée le respect de l’autorité, avec comme corollaire, l’obéissance et la soumission.

The Martin Family at chuch illustre donc la position hiérarchique des individus dans la Cité de Dieu autant que dans la Cité terrestre. Saint Augustin a bien pu condamner cette dernière comme étant dans les pompes de Satan, il n’en reste pas moins que l’ordre paulinien de l’omni potestas eo Deo se reproduit tout au long de la descente de l’autel vers le banc dans la nef. Cette règle sociale, étant sous le regard de Dieu, ne permet aucune entorse. Ainsi donc, peut-on déduire que le sentiment religieux se trouve complètement absorbé par la religion comme fonction sociale. Faisant régresser la spiritualité vers des rites automatiques, elle s’accorde très bien avec les inventions modernes de la Révolution industrielle appliquée à l’organisation domestique avec la société de consommation. On se lève, on s’asseoit, on s’agenouille, on baisse la tête, on lève les yeux, on se relève, on se rasseoit, on écoute, on se dirige vers la sainte table, on communie - non plus selon le rite des premiers chrétiens, comme une redistribution, mais comme une distribution opérée par l’autorité -, on retourne à sa place, ite, missa est.

La sérénité dans laquelle baigne la scène du tableau 5, qui est censée célébrer la messe des martyrs, s’oppose avec le tragique des récits hagiographiques. À l’exemple des autres tableaux de conversation

Couronnement de Charlemagne
anglaise, mieux que l’encens, c’est le bonheur familial, domestique que l’on respire à pleins naseaux. «Une famille qui prie est une famille unie», avait l’habitude de répéter le Premier ministre de la Province de Québec, Maurice Duplessis, et c’est ce qu’illustre The Martin Family at church. Les deux alignements de personnages (à la sainte table et dans le banc avant) nous indiquent la parfaite linéarité du comportement des individus soumis à Dieu et à ses pasteurs. Les pères Smith et MacMagnus assurent, au niveau collectif, la protection que John & Mary attendent de M. Martin, leur père. Le moment précis de la communion du père Martin montre que l’autorité lui est attribuée directement de Dieu par la main du prêtre. Le choix n’est pas innocent. Si John a reçu le corpus Christi avant son père, ce n’est que dans la mesure où il reprendra un jour la relève de ce dernier. Il en est ainsi depuis que les empereurs recevaient les symboles de la royauté du pape. La leçon s’adresse à l’enfant, bien sûr, et non à l’adulte qui l’a déjà assimilée depuis longtemps.

Ce monde s’est effondré sur lui-même, quelques années après la publication du manuel. À l’âge de six ans (en 1961), les églises que je fréquentais étaient pleines. À l’âge de douze, elles étaient quasi vides. Et moi-même je cessai d’y aller autour de quinze ans, lorsqu’il n'était plus remarquable de se pavaner,
bien habillé, à l’église. Ce spectacle de parades de mode et d’exhibitions pharisiennes, ma mère le retenait du milieu dans lequel nous vivions. Aller à la messe, la basse ou la grande, distinguait les niveaux sociaux, les revenus (par l’habillement), la bonne réputation (selon les apparences), enfin le jugement social. Comme dans ces petites villes américaines protestantes - nos Peyton Places -, c’était la bigoterie des grenouilles de bénitier et des lécheux de balustres qui les rassemblait autour de la chaire où un père Blanc venait faire de la prédication pour les pauvres en Afrique ou en pays de colonisation, ou un père dominicain ou jésuite qui venait planifier une retraite fermée. Je n’ai jamais été enfant de chœur car je ne savais pas le latin et que mes aptitudes religieuses étaient déjà fort douteuses. De plus, malgré toutes les apparences de la respectabilité cléricale, les histoires de pédophilies étaient déjà connues comme Mickey Mouse dans la Passion. On savait que des membres du clergé avaient un appétit peu catholique pour les petits garçons blonds (ce que j’étais à l’époque), mais que tout ça devait être tenu secret.

Cette hypocrisie morale de l’usage de la religion comme clef de la morale publique et individuelle rongeait le sentiment religieux comme un cancer un organe, et lorsque la société de consommation parvint à renverser les rapports du bien et du mal, alors la religion, qu’elle soit catholique ou protestante, perdit de son emprise sociale. Le sentiment religieux put se libérer, mais par réaction, il déserta les églises et chercha, tantôt dans le bouddhisme, tantôt dans l’ésotérisme, tantôt dans les drogues, tantôt dans le nationalisme un chemin, une voie par où s’exprimer. Lorsqu’il voulut revenir au catholicisme, il trouva sur son chemin Jean-Paul II et le cardinal Ratzinger (Benoît XVI) qui, eux, n’avaient pas voulu évoluer autrement qu’en essayant d’adapter les stratégies spectaculaires à la vieille religion dominante, gardienne de la foi, ou plutôt des mœurs seules qui intéressent les autorités.

La déchristianisation de l’Occident, et plus particulièrement de l’Amérique du Nord, où le rigorisme catholique québécois n’avait rien à envier au fondamentalisme des sectes protestantes, est prophétisée étrangement dans le tableau 5, avec tous ces bancs vides (à la gauche de l’image). Le manque de chaleur humaine dans ce tableau confirme les seuls intérêts d’autorité et de hiérarchie sociale que représente la pratique religieuse d’alors. Il est même difficile de dire si la lampe du sanctuaire est allumée ou éteinte, signe alors de la présence ou de l’absence de Dieu dans les lieux: du moins y sent-on vaciller une flamme… Il n’est pas évident non plus que le dieu idéalisé des chrétiens d’Occident, qui partage la souffrance de chacune de ses âmes, habite véritablement ce tableau. Pour les enseignants de l’époque, la chose importait peu puisqu’il ne s’agissait pas de l’enseignement du catéchisme mais de celui de l’anglais. Cependant, à vouloir faire trop de propagande morale, on finit par manquer son but et susciter une indifférence qui, aux yeux de Lamennais, était pire que le péché ou même l’athéisme.

Enfin, je ne saurais passer sous silence cette porte en arche, à la gauche du tableau, qui, sur un mur jaune - du jaune que nous avons rencontré dans la chambre de John - semble mener dans la sacristie complètement noire. Le noir, c’est le deuil. Lorsque la chasuble du prêtre est noire, c’est qu’il s’apprête à réciter la messe des défunts ou célébrer le Vendredi Saint. De plus, le noir n’indique pas tant l’enfer que le néant. Il est la couleur du vide, la couleur du gouffre. L’Être et le Néant, Dieu et le non-sens de la matière, de la vie, de l’humanité. Le grand Rien, le Trou Noir, concentration d’énergie qui finirait par aspirer tout l’intérieur de cette église, avec ses icônes, ses idoles, ses serviteurs et ses pasteurs. Pour beaucoup, c’est cela que finissait par signifier la déchristianisation, et pour pallier au vide, on recourut à l’hédonisme, à la dépression, aux barbituriques, à l’ennui, à la lassitude, enfin au suicide moral et à la mort, le jour où la jouissance n’eut plus aucun goût. Tout cela semble impensable à l’esprit des Martin tant ils semblaient bien intégrés au rituel. Seul l’avenir pouvait dire ce qu’il en serait une fois que les Dominique Savio et Maria Goretti quitteraient l’échelle des valeurs de John & Mary.
Montréal
24 juin 2011

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